Palette de danse rapa
Objet
- Type d'objet : Objet
- Nom vernaculaire : Rapa
- Géographie : Amérique – Amérique du Sud – Chili – Valparaíso – Pâques (île)
- Culture : Océanie – Polynésien
- Date : 18e siècle ou début du 19e siècle
- Matériaux et techniques : bois sculpté
- Dimensions et poids : 56,3 × 10 × 1,1 cm
- Précédente collection : Charles Ratton ; Ancienne collection : Stephen Chauvet ; Ancienne collection : Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie ;
- Exposé : Oui
- Numéro d'inventaire : 70.2018.4.1
Description
Cet objet se présente comme une pagaie à deux pales asymétriques. Sur la pale supérieure figure un visage stylisé pourvu de deux arcades sourcilières se rejoignant en une nervure verticale symbolisant l’axe du nez. Deux petites sphères sculptées latéralement représenteraient des lobes d’oreille ou des ornements d’oreille. Sur un rapa conservé aujourd’hui à Boston (64845), on trouve même une incrustation de vertèbres de poissons (Heyerdahl, 1976 :201) . On sait par ailleurs que les vertèbres de poissons pouvaient servir d’ornements d’oreille sur l’Île de Pâques. La pale inférieure ne possède en guise d’ornement qu’un appendice de forme phallique sculpté en partie basse dans l’axe de la pagaie. Les rapa sont sculptées pour la plupart en bois de Sophora toromiro. Ils sont généralement non peints (mis à part le célèbre exemple conservé au Smithonian Institute sous le numéro 129.947). Et, mis à part une tête humaine stylisée, ils ne possèdent pas d’autres décors sculptés ou gravés. Occasionnellement, on trouve la présence d’ornements finement gravés, comme c’est le cas pour la pagaie Ratton-Ladrière. On les distingue d’objets similaires, mais plus grands, à la hampe généralement plus allongée et dont le décor anthropomorphe est parfois moins stylisé. On appelle ces derniers objets ao. Ces objets dont l'usage est mal connu auraient pu être des bâtons de chef. Ils sont beaucoup plus rares que les rapa. L’iconographie de la pagaie « Chauvet-Ladrière »:La pagaie ayant appartenu à Stephen Chauvet fait partie des pagaies les plus courtes que l’on connaisse (56 cm de long). Elle est par ailleurs ornée de deux motifs gravés (avec une lame métallique). Sur une des faces, sous l’arcade sourcilière droite, une figure d’oiseau (Selon Chauvet 1935, fig. 174, de type oiseau en vol ou rere) telle qu’on en rencontre sur les tablettes rongrongo, et sous une forme légèrement différente sur les pétroglyphes. Stephen Chauvet (1935 :55) l’associe à l’oiseau manutara, et il affirme à propos de sa rapa qu’elle serait associée aux cérémonies du culte de l’oiseau.Sur l’autre face, au-dessous de l’arcade sourcilière droite, on trouve un motif ovale traversé d’une ligne verticale et d’un motif en chevron dans la partie inférieure. Chauvet identifie un motif très proche à une représentation de la terre henua (1935 : fig. 173). Ce même motif se retrouve rarement sur les tablettes rongorongo mais il est fréquent sur les pétroglyphes. Pour Tilburg, ce motif se nomme komari, et il représente le sexe féminin. On le trouve gravé sur des crânes. Cet auteur indique d’ailleurs que les pagaies de danse sont étroitement liées à la sexualité féminine (Tilburg 1994 :123)La pagaie fait partie des pagaies les plus courtes de l’ensemble des rapa connus.
Usage
Ces bâtons auraient été utilisées comme accessoires de danse, en particulier pour des danses assises (pour les pagaies les plus courtes). Pierre Loti (Julien Viaud), alors jeune marin de 22 ans navigant sur La Flore, décrit une de ces danses lors de sa visite de l’île de Pâques en 1872. Les pagaies rapa auraient aussi été utilisées pour des danses guerrières organisées devant l’hariki, le chef (voir Métraux). Métraux indique par ailleurs que ces rames étaient portées par des files de danseurs lors d’une danse nommée Kaunga et dont l’auteur rapporte « qu’on ne sait rien » (1941 :144) : « Jeunes gens et jeunes filles en file indienne, dansaient le long d’un couloir étroit pavé de galets. Les danseurs tenaient en main de petites rames de danse qu’ils faisaient mouvoir en cadence en avançant et en reculant. On nous a assuré qu’en cette occasion de nombreux mariages avaient lieu, car jeunes gens et jeunes filles rivalisaient alors d’élégance ».Le même auteur, un peu plus loin, mentionne d’anciennes danses religieuses, à l’époque déjà presque oubliées mais décrites par le doyen de l’île de Pâques et informateur principal des différentes expéditions que s’y sont succédées au début du XXe siècle : Tepano.« Se tenant debout, les jarrets pliés, il faisait tournoyer une rame de danse à deux palettes, en se dandinant de droite à gauche comme un ours. Il nous raconta qu’à défaut de rame de cérémonie, les danseurs brandissaient des statuettes de bois ou des moko (figures de lézards). Les uns les portaient à la bouche, d’autres les dressaient sur leur tête ou faisaient avec elles des gestes obscènes en les passant entre leurs jambes ou en les appliquant contre leur postérieur. Dans l’excitation générale, certains faisaient semblant de cracher sur ces objets sacrés ». (1941 :150)On en retrouve trois sculptés sur la face arrière du célèbre moai Hoa Hakanananai’a du site d’Orongo et aujourd’hui conservé au British Museum. Ce sont les seuls objets cultuels à être représentés sur cette célèbre sculpture, leur présence atteste de l’importance de ce type d’objet, même si on ignore en partie leur usage. Il est enfin possible que les rapa aient été utilisés lors de rites funéraires. A la fin de son chapitre sur la guerre Alfred Métraux signale :« Une des plus dramatiques visions que l’île de Pâques offrit aux temps anciens était celle des rites de vengeance observés lorsqu’un meurtre avait été commis. Le cadavre était porté sur le mausolée et un prêtre se tenait auprès de lui toute la nuit, en brandissant une palette en bois ou en os, et en récitant des incantations et des charmes » (1941 :84)Selon Catherine et Michel Orliac (2008a :168), il se pourrait que les rapa, comme d’autres objets de grande valeur tahonga, forment des paires. Les auteurs citent les deux pagaies identiques autrefois dans la collection Oldman.