Le plus vieux récipient en algue de Tasmanie conservé au monde

redécouvert dans les collections du quai Branly !

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Retour sur la récente redécouverte d’un sac en algue de Tasmanie dans les collections du musée du quai Branly - Jacques Chirac.

Collecté en 1792 lors de l’expédition de Bruni d’Entrecasteaux, cet objet est le sac en algue le plus ancien connu et l’un des plus vieux objets au monde conservés dans un musée pour l’Australie toute entière.

Par Stéphanie Leclerc-Caffarel, Frédérique Servain-Riviale et Céline Daher.

« Les paniers ne sont pas vides. Ils sont pleins de celles qui les ont faits, de leurs histoires, de leurs pensées durant la fabrication. Les paniers ne sont jamais vides. Toutes les pensées s’en échappent et nous atteignent tous. ».

- Verna Nichols, artiste tasmanienne citée en exergue du catalogue de l’exposition Tayenebe, Tasmanian Aboriginal woman’s fibre work (2009).

Parmi les pratiques artistiques autochtones de Tasmanie, la fabrication de contenants est à part. Elle révèle mieux que nulle autre, la singularité formelle et technique des objets fabriqués par les femmes aborigènes de Tasmanie. Unique au monde, le façonnage de grandes algues laminaires appelées bull kelp en Anglais (Durvillea potatorum) pour créer des contenants destinés à la collecte, au transport et à la consommation de l’eau est un témoin particulièrement pertinent de cette singularité.

Les objets ainsi produits sont devenus depuis quelques années emblématiques de la culture matérielle tasmanienne. Ainsi, des œuvres contemporaines en kelp, de plus en plus nombreuses, se trouvent exposées dans les grands musées australiens. Et l’intérêt prêté aux très rares pièces historiques conservées, ou connues par le prisme de documents graphiques historiques, va croissant.

UN OBJET EMBLéMATIQUE DE LA CULTURE MATéRIELLE DE TASMANIE

Ainsi, en 2009, l’exposition Tayenebe, présentée au Tasmanian Museum and Art Gallery, évoquait le lien spécifique à l’environnement insulaire tasmanien unissant les gens aux plantes et mettait en avant la singularité formelle des paniers fabriqués par les femmes aborigènes de Tasmanie et leur rôle culturel unique.

L’exposition rappelait aussi le rôle prépondérant des collections muséales anciennes dans l’effort conduit par les artistes contemporaines pour revitaliser certains aspects de leur culture matérielle, terriblement éprouvée par la colonisation. 

 

exposition Tayenebe en Tasmanie en 2009

Dans le catalogue de l'exposition Tayenebe, 37 paniers historiques sont répertoriés. Ils ont été collectés pour les plus anciens dans les années 1800 et sont conservés dans plusieurs musées à travers le monde.

  • Dans cette liste figure un seul contenant à eau en algue, présenté à l’Exposition universelle de Londres en 1851 avant d’être acquis par le British Museum (cf. illustration ci-dessous).

Ce spécimen semble alors être le seul à avoir subsisté à l’épreuve du temps. 

Les recherches pour identifier d’autres exemplaires, notamment ceux décrits lors des expéditions françaises sous le commandement de Nicolas Baudin (1800-1803) et Antoine Bruni d’Entrecasteaux (1791-1794) s’étaient jusqu’ici révélées infructueuses…

jusqu'en 2019, un seul panier historique répertorié

... jusqu'à ce qu'on découvre dans les archives d'Henry Balfour, conservateur au Pitt Rivers Museum (Oxford, Angleterre) la mention d’un panier en algue semblable à celui du British Museum au musée de la Marine du Louvre au début du XXe siècle.

Cette remarque est accompagnée d'un petit croquis à l'encre, dont l'importance s’est révélée déterminante (cf. illustration ci-dessous).

En effet, en avril 2019, c’est ce dessin que Gaye Sculthorpe, conservatrice au British Museum et elle-même originaire de Tasmanie, montre à Stéphanie Leclerc-Caffarel (responsable de collections Océanie au quai Branly), initiant une nouvelle recherche pour localiser ce spécimen connu des spécialistes, mais jamais identifié dans les collections du musée de l’Homme ou du Musée du quai Branly - Jacques Chirac.

un panier semblable en france ?

Le récipient en algue évoqué par Balfour n'était pas matériellement identifié dans les collections du quai Branly. Pour s'assurer de la présence de l'objet, Frédérique Servain-Riviale, chargée de la documentation des collections, commença par retracer sa trajectoire institutionnelle - longue et complexe.

Pour commencer il fallut retrouver sa trace dans les inventaires anciens du musée de marine du Louvre :

  • La consultation de l’inventaire dressé par Morel-Fatio, qui recense les biens entrés avant 1856 par aires géographiques, permet de repérer l’objet, enregistré sous le numéro 3098-2072 et décrit comme un « sac fermé de Nouvelle-Hollande [Australie] ».
  • Or ce même numéro 3098, attribué à un « sac en cuir de Nouvelle Zélande1 », figure aussi sur une liste d’objets d’Océanie déposés par le musée de Saint-Germain (récipiendaire des collections du musée de marine à sa fermeture) au musée d’ethnographie du Trocadéro en 1929.
  • Le musée de l’Homme ayant hérité de ce dépôt, la présence du bien au sein des collections du musée du quai Branly - Jacques Chirac se confirme. 

confirmer la présence du récipient dans les collections

L’étape suivante consista à éclairer la date et les circonstances d’entrée de l'objet dans les collections nationales. La réponse se trouve dans la liste des objets provenant de la Maison du roi, dressée en préambule de l’inventaire Duhamel du Monceau du musée de marine du Louvre.

  • Le numéro 56 de cette liste fait référence à un « sac formé avec un ficus (Nouvelle-Hollande) » acquis lors de la vente Denon en 1826. L’objet est d’ailleurs illustré sur la planche 2 des Monuments des arts du dessin (1829) (cf. ci-dessous)

L'entrée dans les collections

C’est un dessin de Jean Piron, dessinateur de l’expédition d’Entrecasteaux (1791-1794), qui conduisit à la piste du collecteur [Fig. 4]. On y voit un récipient en algue aux côtés d’autres paniers de Tasmanie. Et ce même récipient est également illustré dans l’atlas publié par le naturaliste de l’expédition, Julien Houtou de la Billardière [Fig. 5].

Les circonstances de collecte de l’objet au Cap Diemen (Tasmanie) sont, elles, détaillées dans le récit du voyage (t.I, p.127) : « […] on y trouva une portion de l’algue marine connue sous le nom de fucus plamatus, taillée à peu près dans la forme d’une bourse à jetons. C’était un vase à eau. Il en était encore rempli, lorsqu’on le découvrit ».

  • Un retour aux inventaires du musée de marine du Louvre permit de confirmer le nom du collecteur. Dans l’inventaire Duhamel du Monceau se trouve en effet, sous le numéro 244, un « sac formé d’une liane Potatorum - Nouvelle-Hollande - Donné par Mr De la Billardière. »

Les circonstances de la collecte

La piste des biens orphelins



Prélevé au musée de l’Homme dans les collections africaines, l’objet répondait à l’appellation « récipient en bois et écorce (?) ».

Au regard de ces données, l’analyse en spectrométrie infrarouge conduite par Cécile Daher (chercheuse associée, à la gestion et conservation du patrimoine) s’est révélée décisive, en permettant de comparer l’objet à des échantillons d’algues collectées par l’expédition d’Entrecasteaux fournis par le Muséum d’histoire naturelle [Cf. ci-dessous].

  • Les résultats de cette analyse non invasive et sans contact ont permis de conclure : nous sommes bien en présence du plus vieux récipient en algue de Tasmanie conservé au monde.

CONFIRMATION

QUELQUES SACS CONTEMPORAINS SUR LES SITES DES MUSÉES AUSTRALIENS :

Références bibliographiques

  • Denon, Dominique Vivant & Amaury Duval. 1829. Monuments des arts du dessin chez les peuples tant anciens que modernes. Paris : Denon. (Voir sur Gallica)
  • Entrecasteaux, Antoine Raymond Joseph de Bruni, chevalier d'. 1808. Voyage de D’Entrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse… Paris : Imprimerie impériale.(tome 1 et tome 2 sur Gallica)
  • Gorringe, Jennie & Julie Gough. 2009. Tayenebe: Tasmanian Aboriginal women's fibre work. Hobart, Tasmanie: Tasmanian Museum and Art Gallery. (Notice sur le catalogue de la médiathèque du musée)

Références bibliographiques