La mission du musée du quai Branly-Jacques Chirac est d’une part, de mener un travail de recherche sur et autour des collections qu’il abrite, d’autre part de développer la recherche sur les enjeux contemporains dans les domaines qu’il couvre. Dans cet esprit, trois axes vont structurer les recherches menées au Département de la recherche et de l’enseignement. Les projets de recherche portés par le musée, nombreux et variés, s’inscrivent dans les champs de l’anthropologie, de l’histoire et de l’histoire des arts, sans exclure d’autres thématiques :
- Diversité des esthétiques et des formes de créativité
- Musées, patrimoines, cultures et identités
- Héritages coloniaux: réappropriations, revendications, partages
Diversité des esthétiques et des formes de créativité
Croisant anthropologie, histoire et histoire des arts, cet axe porte sur la multiplicité des façons dont les êtres humains perçoivent et évaluent le monde qui les entoure. La notion d’esthétique, au sens étymologique du terme aesthesis, va bien au-delà de ce que nous appelons dans la tradition occidentale l’art ou les arts, renvoyant à la diversité des façons dont les différents groupes humains mettent en forme les perceptions et l’expérience. Elle inclut les dimensions sensibles et intellectuelles, mais aussi affectives, morales et politiques.
Dimension esthétique et créativité ne s’expriment pas uniquement dans les objets d’art ou d’artisanat, mais aussi par un ensemble de pratiques festives ou rituelles, mettant en jeux les corps et les divers sens, associant sons, danses, spectacles, arts de la parole, mouvements corporels, images fixes et animées, mais aussi pratiques alimentaires, décoration de la maison, jardinage, etc. Elles mettent en jeu le goût pour des sculptures comme le plaisir devant un repas harmonieusement disposé, ou l’émotion devant un rituel, un paysage, un monument.
La recherche menée au musée du quai Branly participe ainsi à l’exploration de nouvelles façons de rendre compte et de rendre sensible la diversité des esthétiques et des formes de créativité à l’intention d’un vaste public, en mobilisant plus systématiquement les dimensions perceptives, notamment visuelles et sonores.
Dans cette perspective, la question de l’art constitue un cas singulier dont il s’agit d’étudier les genèses et les métamorphoses, historiques et contemporaines, par exemple les processus de constitution d’arts et de marchés de l’art, à la fois « traditionnels », « populaires » et « contemporains », dans les pays du « Sud global », que ce soit sous la forme de labels associés à des grandes régions ou aires culturelles (« art africain », « arts islamiques », « art d’Amérique Latine »), des Etats- nations, ou bien de nouvelles identifications collectives.
Musées, patrimoines, cultures, identités
Un second axe de recherches porte sur une approche comparative des processus de patrimonialisation, de mise en musée et de mise en scène des identités. Il est aujourd’hui essentiel de comprendre les transformations des musées et des patrimoines, matériels et immatériels, dans les pays qui sont les lieux d’origine des collections.
Un certain nombre de pratiques festives codifiées liées à la musique et à la danse, naguère considérées comme « folkloriques » et souvent revendiquées aujourd’hui comme « traditionnelles » ou « culturelles », sont une des formes privilégiées de ritualisation des identités, à la fois pour soi et pour les autres. Plus récemment, des créations institutionnelles à l’origine occidentales, comme celles de musée ou de patrimoine, ou encore la notion de culture elle-même, ont été diversement réinterprétées et réappropriées de par le monde.
Dans de nombreux pays, on assiste ainsi à une multiplication de musées de toutes sortes, du fait du tourisme, mais aussi en lien avec des formes d’affirmation identitaire. A l’échelle globale, la relation entre les musées et les « communautés d’origine », en particulier les peuples autochtones, est en cours de redéfinition, avec de nouvelles demandes faites aux musées, qui suscitent parfois des malentendus ou des tensions, mais offrent aussi de nouvelles opportunités. Le musée (depuis les nouveaux musées autochtones jusqu’aux musées nationaux) est ainsi devenu un lieu privilégié pour l’expression de revendications.
Héritages coloniaux : réappropriations, revendications, partages
Un troisième axe de recherche porte sur les « héritages coloniaux », au sens des multiples formes par lesquelles le passé des relations entre l’Europe et les autres continents se fait présent dans le monde d’aujourd’hui. Les enjeux contemporains des héritages coloniaux, des façons d’y faire face et de se les approprier partiellement, ou encore de les rejeter radicalement au nom du mot d’ordre de « décolonisation », se pose tant dans les anciennes puissances coloniales que dans les pays autrefois colonisés. Elle inclut la recherche sur l’histoire et les héritages de l’esclavage.
La notion d’héritages coloniaux entendue en ce sens comprend des aspects matériels (musées, monuments), et « immatériels » (langues, alimentation, musiques, pratiques corporelles, danses, savoirs, etc.). Parmi les héritages coloniaux figurent les savoirs produits au cours de l’histoire, sur les mondes non européens et leurs cultures, leurs créations esthétiques, leurs langues, etc. Ces savoirs généralement issus d’interactions, souvent asymétrique, avec des interlocuteurs locaux porteurs de leurs propres savoirs, sont ce à partir de quoi les Occidentaux perçoivent, classent et pensent les autres sociétés. Ces savoirs matérialisés et conservés sous diverses formes, — notamment archives, carnets, dessins, photographies, films, inventaires, lexiques, généalogies, etc.— constituent typiquement un héritage pluriel : documents pour les scientifiques d’hier et d’aujourd’hui, ils sont également une possible source de connaissance historique, un support de mémoire et d’identification collective et individuelle pour les descendants de celles et ceux dont ils traitent. Réfléchir sur la construction des savoirs —anthropologie, archéologie, géographie, histoire et histoire de l’art, théologie, mais aussi sciences naturalistes — dans le contexte de relations coloniales, constitue ainsi un aspect essentiel de toute enquête.
De ce point de vue, ce dernier axe de recherche s’intéresse à un vaste ensemble de processus de circulations, de réappropriations, de partages et de conflits qui s’expriment à travers les objets, mais aussi par le développement de nouvelles relations et posent la question de la possibilité d’appropriations multiples, voire partagées.