Toujours dans le domaine de l’ethno-histoire et en particulier celui de l’étude des manuscrits pictographiques mexicains coloniaux, je m’intéresse aujourd’hui à des documents tout à fait originaux : les catéchismes testériens. Il s’agit de carnets miniatures peints dont on compte une vingtaine d’exemplaires encore localisables aujourd’hui. Leur originalité ne réside pas dans le message catholique qu’ils véhiculent, mais plutôt dans la méthode utilisée pour les rédiger. En effet, c’est au moyen d’images que les prières principales et autres instructions morales, telles que le décalogue, ont été écrits. Ces carnets étaient utilisés par les Indiens afin de mémoriser les textes fondamentaux nécessaires à leur évangélisation. Partant de l’hypothèse selon laquelle ces images peuvent être lues comme de véritables mots, mon travail s’attache à comprendre comment ces pictographies se lisent, à quels mots celles-ci correspondent et si des fonctions scripturales plus particulières peuvent leur être assignées (images-mots, images-sons, etc.).
L’iconographie des testériens est constituée d’images catholiques mêlées à des symboles et des signes (ou « glyphes ») utilisés dans les anciens livres ou « codex » des Indiens. Or, les auteurs de ces carnets restent largement inconnus. Étaient-ils des religieux connaisseurs de l’écriture des codex traditionnels, comme le laisse sous-entendre l’adjectif « testérien », dérivé du patronyme du franciscain Jacobo de Testera, connu pour avoir utilisé des « toiles peintes » pour enseigner la doctrine chrétienne à ses ouailles ? Ou bien étaient-ils d’anciens scribes, héritiers de la tradition scripturale indienne, forcés de s’adapter aux nouvelles contraintes d’apprentissage, de mémorisation et d’écriture imposées par les occidentaux ? Quoi qu’il en soit, ces carnets sont les produits d’une rencontre entre deux idéologies, deux religions, deux manières de peindre et de voir le monde, mais également deux manières d’écrire et, en conséquence, de lire. Si le caractère polysynthétique du nahuatl, la langue des Aztèques, a favorisé l’invention de néologismes pour la traduction de concepts forts éloignés des conceptions mésoaméricaines, les techniques d’écriture de l’ancien Mexique pouvaient-elles s’adapter et permettre la rédaction d’un texte catholique ?
D’un côté, le corpus de textes contenus dans ces catéchismes est traditionnellement figé. Il est formulé de façon linéaire et a été préalablement écrit au moyen d’une écriture alphabétique. Son apprentissage devait se faire mot à mot afin de pouvoir être mieux répété lors de la prière individuelle et collective. D’un autre côté, le système d’écriture pictographique développé avant la Conquête ne transcrivait probablement pas des textes de manière linéaire. Les lectures devaient, en conséquence, sensiblement varier à chaque relecture tout en respectant une charpente fixe effectivement écrite/peinte. Ainsi, outre les adverbes de lieu contenus dans les toponymes, aucun glyphe correspondant à des adverbes de temps ou à des conjonctions de coordination n’a été identifié dans les textes pictographiques des codex traditionnels.
L’apprentissage du texte catholique se heurtait donc à une autre manière, mésoaméricaine, de concevoir un récit. L’enjeu est alors de comprendre quels procédés d’enregistrement et de mémorisation ont été agencés afin de permettre un apprentissage de textes dont une des propriétés intrinsèques est leur caractère obligatoirement immuable. Ceci pourra certainement fournir des renseignements sur les auteurs de ces manuscrits originaux. En outre, postulant que le texte pictographique des testériens est la traduction en images de textes catholiques eux-mêmes traduits en langues indiennes, je cherche à déterminer le lien entre certaines images et la langue nahuatl, prenant ainsi en compte le procédé du « rébus ».
L’objectif de cette thèse doctorale est de procéder à une remise en contexte des catéchismes testériens en restituant leur processus d’élaboration et d’utilisation par les différents ordres religieux qui œuvrèrent en Nouvelle Espagne dès le début du XVIe siècle. La lecture et la mémorisation de ces images par les Indiens catéchumènes ou néophytes sont également analysées. Cette recherche complète l’histoire du contact entre les Indiens et les Européens par l’adoption d’un nouveau point de vue tout en enrichissant l’étude des objets et techniques utilisés et réadaptés lors de ce que l’on nomme désormais la « Conquête spirituelle » du Mexique.