Regarder les objets guyanais sous l'Ancien Régime

Nouvelle vitrine du salon de lecture

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Comment s’intéressait-on aux objets « des Autres » sous l’Ancien Régime ? C'est le sujet de cette nouvelle vitrine au salon de lecture Jacques Kerchache, réalisée à partir d’objets provenant de la Guyane et des Antilles .

Regarder les objets guyanais sous l'Ancien Régime

Des collections héritées d’un passé colonial

Le musée du quai Branly – Jacques Chirac a hérité de collections anciennes et de livres imprimés qui documentent l’intérêt des aristocrates, savants, marins et colons. À partir d’objets provenant de la Guyane et des Antilles, cette vitrine restitue l’histoire d’un regard exotisant et interroge ses biais, notamment coloniaux. Venant après les conquêtes espagnoles, les établissements français sont, à partir du XVIIe siècle, au contact de populations amérindiennes aux cultures proches, principalement Kalinago (alors appelées « Caraïbes ») dans les petites Antilles et Kali’na (« Galibis ») en Guyane. 

Observer sans comprendre : les limites des récits anciens

Les sources sur les œuvres anciennes provenant de ces territoires sont très discontinues, rendant difficile les identifications certaines. Pas plus que les catalogages d’objets, les récits des observateurs du passé ne sont ceux d’ethnologues professionnels, ni de voyageurs désireux de rencontrer la culture de l’Autre. Le Recueil de divers voyages contient ainsi les premières représentations d’objets Kalinago dans le domaine de l’imprimé français. Le témoignage du sieur Laborde accompagne ces images mais il véhicule aussi des stéréotypes négatifs et ne présente les populations amérindiennes que dans la perspective de leur exploitation. En exposant ici le livre – et non la seule gravure représentant ces objets – on manifeste combien la démarche du sieur Laborde est éloignée de celle des savants qui pouvaient regarder les populations amérindiennes avec empathie. Il y voit une main d’œuvre potentielle et expose avant tout des réalisations techniques susceptibles d’être mises à profit – et non une culture matérielle différente de la sienne. Les motifs sur les vanneries intéressent aussi les observateurs qui y voient une source d’inspiration pour des productions textiles, autant qu’un moyen de décorer des cabinets de curiosités qui servent à leur prestige. 

Objets emblématiques et imaginaires exotiques

Certains objets apparaissent emblématiques de ces territoires. Les massues des Caraïbes, nommées boutou, sont connues en Europe dès l’époque de Christophe Colomb. On en trouve aussi dans les collections de l’Ancien Régime : celle exposée ici est issue des collections de Versailles. Elles évoquent, depuis la Renaissance, l’image de la sauvagerie et du guerrier Amérindien et c’est dans ce sens que le botaniste Jean-Christophe Fusée-Aublet l’utilise encore en frontispice de son Histoire des plantes de Guiane en 1775. Elle devient l’élément d’une panoplie imaginaire où l’Amérindien incarne la personnification du territoire que le botaniste explore et met en herbier. Pour autant, les massues sont aussi collectées pour apprécier les techniques amérindiennes de travail des bois durs, alors très prisés en Europe. Leur présence dans les cabinets de curiosités français est attestée par de nombreuses sources, même s’il n’est pas toujours possible de connaître l’histoire spécifique des objets.

Cartographier, exploiter, dominer

À mesure que s’intensifie l’exploitation économique de l’espace guyanais, celui-ci connait différentes expéditions cartographiques, parfois à des fins diplomatiques, pour déterminer le tracé de frontières très théoriques avec les autres puissances européennes, mais aussi repérer les populations et les ressources. Les nombreuses cartes réalisées à cette période portent la trace de la transformation des sociétés, indiquant par exemple les espaces de plantations, les lieux où les esclaves enfuis (« marrons ») se regroupent, la présence de missionnaires ou la découverte de nouveaux gisements. Plusieurs ouvrages destinés à mettre en avant les potentialités économiques de l’espace guyanais et de ses populations – notamment après la perte des colonies françaises en Amérique du Nord au XVIIIe siècle – relèvent de l’intérêt pour les arts et métiers sans pour autant remettre en question l’esclavage. Le livre de Jean-Antoine Bruletout de Préfontaine s’inscrit ainsi dans le genre des maisons rustiques, ces livres destinés à l’exploitation optimale des domaines agricoles, très en vogue au siècle des Lumières. Son originalité est de situer son propos en Guyane et de donner un véritable guide pour former une exploitation esclavagiste, rédigé à partir de son expérience personnelle d’habitant. S’y décèle toutefois son intérêt pour les éléments culturels amérindiens, adaptés à la vie de la plantation signalant ainsi une forme de créolisation sous domination coloniale.  

  • [ 7 ]  Sacoche ; Guyane – début du 20e s. ; Culture Kali’na.  Matériaux : fibre et vannerie. 75.2012.0.1495.1-2
  • [ 8 ] Relation de l’origine, mœurs, coutusmes, religion, guerres et voyage des Caraibes sauvages des Iles Antilles de l’Amérique La Borde ; Paris, Billaine, 1674. Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l'Amerique, qui n'ont point este' en publiez ... Richard Ligon, 1674 G 490 R31 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86070333

En savoir plus

Liens en rapport avec les populations amérindiennes et les collections du musée :

Vitrine réalisée par Maxime Martignon, ancien postdoctorant au département de la recherche et de l'enseignement du musée du quai Branly – Jacques Chirac (2022-2023)