"Hoe", "haka", "whakaahua"... À l'occasion de la finale de la coupe du monde de rugby, plongez dans la culture des All Blacks au musée !
Plongée dans la culture des All Blacks au musée
Coupe du monde de rugby 2023
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UNE PAGAIE PENDANT LE HAKA, C’EST NOUVEAU ?
Aaron Smith, le demi de mêlée des All Blacks et leader attitré du haka depuis déjà quelques saisons, l’a dit dans la presse néo-zélandaise : dans le contexte de la coupe du monde rugby 2023, et en accord avec le reste de l’équipe, il a souhaité introduire quelque chose de nouveau à leurs performances d’avant match.
« Les coupes du monde sont différentes, a-t-il expliqué, et nous voulions apporter à ce groupe et à ce moment quelque chose d’unique. Cela nous a simplement semblé être le bon moment, et porter cette hoe et ainsi représenter notre peuple était tout à fait spécial ». (Source journal Stuff)
La pagaie (hoe – prononcer HO-é) contemporaine maniée par Smith lors des différents haka de la coupe du monde semble avoir une valeur importante pour toute l’équipe. S’il n’a pas souhaité en révéler davantage, nous pouvons nous autoriser quelques suppositions.
La pagaie est un emblème culturel fort à travers la Polynésie, dont fait partie Aotearoa (la Nouvelle-Zélande). Elle rappelle les grands voyages qu’entreprirent il y les Polynésiens à la conquête de la plus vaste région du Pacifique Sud dont ils peuplèrent progressivement toutes les îles, y compris Aotearoa au 13e siècle de notre ère. La pagaie renvoie donc au(x) voyage(s), à l’expertise inégalée des Polynésiens en matière de navigation, à l’esprit de conquête et à l’origine du peuple māori et, plus largement, néo-zélandais.
La pagaie choisie par l’équipe des All Blacks rappelle aussi par sa forme les courses de pirogues (waka) modernes. Elle évoque également les pratiques artistiques contemporaines : la sculpture (whakairo) et les motifs peints (kōwhaiwhai) qui ornent notamment certaines pagaies anciennes ainsi que les chevrons des grandes maisons de réunion (wharenui). Ces motifs kōwhaiwhai se caractérisent par des volutes qu’on retrouve aussi bien sur la pagaie maniée par Smith que sur ses tatouages. Ces volutes, parfois qualifiées de koru en reo māori c’est-à-dire « pliées, recroquevillées » renvoient entre autres choses au déploiement de la jeune feuille de fougère. La fougère arborescente (Cyathea dealbata) est un des emblèmes de l’identité néo-zélandaise depuis le 19e siècle, et ses frondes argentées ornent des maillots des All Blacks comme des Black Ferns (équipe féminine de rugby à XV). Certains historiens de l’art voient dans ce motif qui se déploie une idée de continuité, de répétition, de renouvellement.
Forts de tous ces éléments, difficile de ne pas voir dans cette hoe, invitée dans les haka de la coupe du monde, un symbole d’union, de performance et de persévérance pour ceux qui ont traversé la moitié du globe pour venir affronter ici jusqu’en finale leurs adversaires.
DES HOE AU MUSÉE DU QUAI BRANLY - JACQUES CHIRAC ?
Parmi les hoe les plus connues des collections muséales à travers le monde, celles collectées lors du voyage de l’Endeavour sous le commandement du capitaine James Cook en 1769 sont à part. Aujourd’hui conservées au British Museum (Oc,NZ.150) et au Museum of Archaeology and Anthropology de l’université de Cambridge (D 1914.66 et D 1914.67), en Angleterre, elles présentent un fin décor kōwhaiwhai à l’ocre rouge (kōkōwai). Elles furent acquises par l’équipage de l’Endavour en octobre 1769 à Whareongaonga, au sud de Turanganui-a-Kiwa (Poverty Bay) au nord-est de l’île du Nord, Te Ika-a-Māui.
Deux de ces pagaies ont été exposées au musée dans le cadre de l’exposition Océanie, présentée en Galerie Jardin en 2019. Dans ses collections, le musée du quai Branly – Jacques Chirac ne conserve que deux pagaies māori. L’une d’elle, une pagaie finement sculptée (hoe whakairo), est exposée sur le plateau des collections.
Un autre objet de prestige māori conservé au musée porte l’appellation hoe. Il s’agit d’un hoeroa (littéralement « pagaie » en os de cétacé) collectée lors du premier voyage de Dumont d’Urville sur l’Astrolabe, en 1827. Il s’agit en fait davantage d’une arme de prestige et d’un emblème d’autorité, que d’une pagaie. Elle tire son nom de sa forme et du matériau dans lequel elle est sculptée : une côte de cachalot (parāoa).
LE HAKA DES ALL BLACKS : QUELLE DIFFÉRENCE ENTRE LE KA MATE ET LE KAPA O PANGO ?
Le célèbre haka des All Blacks est un kapa haka : une performance chantée et dansée (haka) en groupe (kapa). Comme les performances chantées et dansées du reste du monde, les haka māori ont chacun une histoire et sont le fait d’experts : compositeurs, poètes et performeurs. Les All Blacks interprètent deux haka : ka mate et kapa o pango. Le haka ka mate est le plus ancien des deux. Il célèbre la victoire de la vie (te ora) sur la mort (te mate) d’où la célèbre récurrence du vers :
Ka mate, ka mate! ka ora! ka ora! (C’est la mort, c’est la mort ! c’est la vie, c’est la vie !)
Le chef, Te Rauparaha, de l’iwi (ou tribu) Ngāti Toa, le compose vers 1820 après avoir échappé aux hommes de tribus adverses qui le poursuivent grâce à l’aide d’un autre chef, Te Wharerangi, et de son épouse.
Célèbre poème māori, il ne commence à être performé par les All Blacks que dans les années 1980. Les mouvements ne sont pas dictés par la composition et dépendent des performeurs.
Le Kapa O Pango (littéralement « le groupe est noir ») est lui composé spécifiquement pour l’équipe nationale de rugby à XV de Nouvelle-Zélande en 2005, par l’artiste māori Derek Arana Te Ahi Lardelli (Ngāti Porou). Ce poème chanté, conçu comme une célébration de la multiculturalité des All Blacks et plus largement de la Nouvelle-Zélande a été privilégié par l’équipe lors de cette coupe du monde.
Le musée et les All Blacks
"Liés par le jeu"
Depuis l’ouverture du musée en 2006, la France a accueilli deux coupes de monde de Rugby à XV. Chacune a été l’occasion pour l’équipe nationale de Nouvelle-Zélande d’offrir au musée un cadeau, en remerciement de l’accueil reçu en France et dans un esprit de partage et d’échange conforme aux valeurs et aux pratiques polynésiennes, et incarné dans le jeu comme au musée.
En 2007, une photographie (whakaahua) de Ross Brown aux dimensions hors normes entre ainsi dans les collections. Il s’agit d’un tirage digital sur toile, recouvert d'une couche aqueuse et encadré. Le cadre en fibre de verre et bois ouvragés figure des motifs végétaux et animaux emblématiques de la faune et de la flore néo-zélandaise.
La photographie elle-même représente les joueurs de l'équipe des All Blacks de 2006. Face à l’objectif, le groupe est figé dans un haka silencieux. Les grandes silhouettes en arrière-plan, dans la même position que les joueurs, comme la nature environnante évoquent la généalogie des All Blacks et leur lien filial à Aotearoa (la Nouvelle-Zélande).
La plus grande originalité de cette œuvre photographique réside sans doute dans la couche aqueuse qui la recouvre. Elle est en effet infusée de l’ADN des joueurs, chacun ayant donné un échantillon de sang pour pouvoir la réaliser selon un procédé élaboré de stérilisation.
• 250 x 480 cm : dimensions du cadre
• 722 kg : poids de la toile encadrée
• 250 kg : poids de la toile
TE PAE NOHO PANGO “THE BLACK BENCH”
Le 15 octobre 2023, la Fédération néo-zélandaise de rugby à XV a offert et inauguré au musée un banc sculpté, peint en noir et incrusté de nacre - remerciement à la France de son hospitalité durant la Coupe du Monde 2023.
Fruit du travail d’artistes contemporains affiliés au prestigieux New Zealand Māori Arts and Crafts Institute (NZMACI) cette œuvre en bois, métal et nacre d’haliotide est désormais accessible à toutes et tous dans le jardin du musée, dans un espace appelé le jardin de la cistude située près du point d’eau, visible depuis la rue de l'Université (voir vue google street).
Le design du banc comprend plusieurs éléments et renvoie lui aussi aux valeurs des All Blacks, à la culture māori et plus largement à l’identité néo-zélandaise contemporaine, multiculturelle.
Les pieds d’acier du banc reprennent les motifs puhoro que l’on retrouve dans les décors peints kōwhaiwhai, évoqués plus haut au sujet de la pagaie (hoe). Les créateurs du banc ont insisté sur le lien entre ce motif et la notion de puissance et de vitesse. La forme des pieds du banc renvoie aussi aux arbres, enracinés dans le sol, solides et prépondérants dans les mythes de création d’Aotearoa. On retrouve cette iconographie dans les décors peints et sculptés de nombreuses œuvres emblématiques de la culture māori, y compris les pirogues (waka) et en particulier autrefois les grandes pirogues de guerre (waka taua). Ils font ici écho aux voyages et à l’adversité qu’allaient rencontrer les All Blacks durant cette coupe du monde.
Les panneaux qui composent le dossier du banc reprennent eux aussi des motifs bien identifiés de la sculpture sur bois māori (whakairo rākau). On retrouve notamment ceux du dos du banc sur certaines boîtes à trésor (wakahuia) destinées à conserver les biens les plus précieux des individus et des groupes familiaux (whānau). Cette référence invite explicitement à célébrer avec humilité celles et ceux qui nous ont précédés et dont nous héritons.
Plusieurs de ces boîtes sont exposées sur le plateau des collections, dans la même vitrine que la pagaie.
La face avant du dossier du banc qui se trouve désormais dans le jardin du musée reprend d’autres motifs classiques de lasculpture māori, y compris des figures stylisées (manaia), hybrides, dont les yeux sont incrustés de nacre. Le ballon de rugby, aucentre de la composition, comme la posture affrontée des personnages laissent penser que nous assistons à un match de rugby,légendaire et intemporel.
L’équilibre de la composition est ainsi décrit par les artistes comme une célébration à celui qui est nécessaire à l’équipe derugby. Ce banc fait d’abord écho au banc de touche et rappelle que l’équipe et la dynamique de groupe vont au-delà des joueurs présents sur le terrain. Les anciens All Blacks invités à l’inauguration de l’installation dans le jardin en ont largement parlé.
Le banc invite finalement aux échanges et à créer du lien.
Il est noir, bien sûr, en référence à la couleur du maillot des All Blacks, mais aussi parce que dans la culture māori cette couleurévoque la nuit et l’au-delà (tepō), un espace de dangers mais aussi de potentialités
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Ressources liées
-
Le site des All Blacks
Lien externe
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