1 _ Séduction des lointains
Invitation au rêve et à l'évasion
Contenu
Partir pour peindre d’autres horizons. Les déplacements d’artistes évoqués ne sont pas ceux d’exilés. Le voyage est avant tout une promesse heureuse. Rupture avec le familier, il est synonyme de dépaysement et de découvertes. Il rend possible un renouveau de la création, au contact d’une lumière nouvelle, de couleurs inédites, de motifs et sujets d’inspiration inhabituels. Sensations et émotions face à l’inconnu sont recueillies à la surface de la toile et de la feuille. L’œuvre se veut séduisante pour l’œil, invitant celui qui la regarde au rêve et à l’évasion.
La séduction des lointains a profondément marqué l’histoire culturelle occidentale. Les peintres ont cédé à cette tentation et décliné l’exotisme en diverses nuances.
Le port est à la fois lieu de départ et d’arrivée de tous ceux qui vont « bourlinguer », selon le terme de marine choisi par l’écrivain Blaise Cendrars en 1948 pour son recueil consacré aux ports. À une époque où le transport maritime est le seul moyen pour relier les continents, les ports sont un creuset de peuples, de marchandises et de cultures.
Qu’elles que soient les modalités du voyage – militaire, commercial, religieux et bientôt touristique – c’est par la navigation que l’horizon ouvre l’infini de ses possibilités. Parmi les artistes sillonnant mers et océans figurent en tout premier lieu les peintres de la Marine, comme :
1 - Bourlinguer
Le mot « exotique », par son étymologie grecque et latine, renvoie à l’étranger. L’objet exotique est par définition extérieur à mon quotidien et à ma culture, une différence qui le rend attractif. Phénomène culturel de goût pour l’étranger, l’exotisme place sous des auspices bienveillants le rapport à l’autre et à l’ailleurs. Mais l’attirance pour d’autres cultures est aussi un leurre : les images exotiques tendent à se ressembler et cachent souvent une perception superficielle ou déformée d’autres cultures.
L’exotisme se nourrit en particulier de fantasmes, autant en littérature que dans les arts visuels. La formidable vague orientaliste, qui déferle peu à peu sur la peinture française au 19e siècle, en témoigne. Genre de l’exotisme, l’orientalisme rassemble en son giron l’attrait pour les régions et cultures d’Orient, vaste entité aux frontières fluctuantes selon les périodes.
Au 19e siècle, les voyages lointains des artistes ont essentiellement pour but l’Afrique du Nord ou le Proche-Orient. Au siècle suivant, d’autres destinations se multiplient. Il est toutefois possible de discerner des traits communs aux artistes confrontés à l’exotisme.
2 - EN QUÊTE D’EXOTISME
Une lumière chaude et crépusculaire baigne les vues d’architecture, d’espaces désertiques et d’oasis peintes par les orientalistes français en Algérie, en Égypte et au Proche Orient entre 1830 et 1870.
Par la suite, les artistes impressionnistes et post-impressionnistes éclaircissent leur palette. Ils font une large place au blanc pour transcrire l’éclat de la lumière. Plus loin, dans l’hémisphère sud, l’éblouissement lumineux emprunte d’autres chemins colorés.
2 _ 1 - Variations lumineuses
Dans les souks, les marchés à ciel ouvert et les processions religieuses, le voyageur occidental décèle les ingrédients d’un pittoresque qui l’enchante. La diversité des couleurs, des étoffes, des ornements et des figures attire l’œil du peintre. Le regard embrasse la foule, se perd dans les apparences ou s’attarde sur quelques détails de groupes observés sur le vif et souvent recomposés en atelier.
2 _ 2 - FOULES BIGARRÉES
La découverte d’espaces naturels lointains, avec leur végétation luxuriante et leur faune exotique, inspire aux artistes de nouveaux motifs. Les représentations de plantes font parfois songer aux albums des botanistes, mais reflètent plus souvent le penchant du dessinateur pour les lignes sinueuses d’une végétation dévorante et l’émerveillement du peintre devant les fastes colorés des floraisons tropicales.
2 _ 3 - NATURE LUXURIANTE, NATURE SAUVAGE
Les créations de Jean Dunand (1877-1942) ont marqué l’histoire des arts décoratifs dans la première moitié du 20e siècle. Elles incarnent par excellence le style Art Déco. Versé dans l’art de travailler le métal, Dunand se passionne dès 1912 pour la technique extrême-orientale de la laque.
A Paris, il apprend auprès de l’un des meilleurs spécialistes japonais, Seizo Sugawara, à utiliser cette résine extraite d’une variété d’arbres en Extrême-Orient. Dunand s’inspire de la nature pour réaliser des décors raffinés sur panneaux, paravents et éléments mobiliers.
Lors de l’Exposition coloniale internationale de 1931, plusieurs vases monumentaux de Dunand sont présentés au palais de la porte Dorée qui abrite le musée des Colonies. Ses créations se déploient également dans les deux salons de la bibliothèque. De grands panneaux en laque figurant les peuples d’Asie et d’Afrique sont entourés de l’évocation de la faune et de la flore exotique. Deux réalisations de cet ensemble sont ici présentées, aux côtés d’un panneau plus tardif, achevé en 1942 pour le siège de la banque de l’Afrique occidentale française à Paris.
LES LAQUES DE JEAN DUNAND
La rencontre de l’Europe à la fin du 15e siècle avec le continent américain, nommé « Nouveau Monde », inaugure un mythe de l’Indien comme « bon sauvage », innocent et pacifique, vivant en adéquation avec la nature.
Le mythe perdure dans l’œuvre de François-Auguste Biard (1799-1882) tandis que Gaston Vincke (1882-1950) est en 1932 frappé par le dépeuplement des tribus amérindiennes. Un imaginaire paradisiaque est également associé en Occident à l’île lointaine. Morceau de terre au milieu de l’eau, l’île est le point de départ de l’utopie : isolée, préservée des perversions de la civilisation, ses habitants personnifient un mode de vie originel proche de la nature, en harmonie sociale.
Les premiers navigateurs européens à atteindre Tahiti, comme le Français Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811) en 1768, ont eu recours à des métaphores paradisiaques qui ont façonné les imaginaires.
3 _ 1 - LE MYTHE INDIEN ET LE RÊVE INSULAIRE
Le désert fascine par ses immensités nues mais inquiète aussi par son caractère inhabité et inhospitalier. Lieu de l’épreuve et de la révélation pour les religions monothéistes, le désert attire les quêtes mystiques.
Sols sablonneux et rocailleux des espaces désertiques alternent en peinture avec la vision des oasis et des caravanes de nomades. Maxime Noiré (1861-1927), établi très jeune en Algérie, adopte volontiers ce mode de vie itinérant. Il voyage de village en village, d’oasis en oasis pour peindre les paysages, avec une prédilection pour le désert, alliance du vide et de la lumière.
3 _ 2 - L’APPEL DU DÉSERT, LE RÊVE NOMADE
Émile Bernard (1868-1941) a travaillé en Bretagne aux côtés de son aîné Paul Gauguin (1848-1903) avant de se brouiller avec ce dernier. Souhaitant renouveler son art, il accomplit un long périple qui le mène en Italie, à Constantinople (actuelle Istanbul) et Jérusalem, avant de s’établir au Caire entre 1893 et 1904.
Au contact de l’Orient, il se ressource et trouve de nouvelles voies artistiques. Inspiré par la vie égyptienne contemporaine, il poursuit ses recherches formelles, colorées et décoratives dans une série de portraits et de scènes observées dans la rue, les cafés ou les intérieurs.
- « C’est l’allure libre de l’homme et de la femme loin d’une civilisation contrefaite, hypocrite, gâtée sous tous les rapports et tous les rapports sont impossibles ; c’est à cette allure seule que l’art peut se régénérer. »
- Emile Bernard, Le Caire, 11 janvier 1896, lettre à sa mère.
3 _ 4 - FUIR L’OCCIDENT. ÉMILE BERNARD ET L’EGYPTE
Les voyages rythment la vie de Paul Gauguin (1848-1903), qui a grandi au Pérou, sillonné les océans en tant que marin, avant de devenir agent de change puis peintre en quête de traditions et de sensations nouvelles à Pont-Aven, en Martinique et à Arles.
À la recherche d’un ailleurs salvateur, non dénaturé par la civilisation occidentale, il adresse en mars 1891 au ministère de l’Instruction publique une demande de mission pour Tahiti. Les dernières années de sa vie passées à Tahiti puis aux îles Marquises sont celles de la quête originelle d’une beauté « primitive », l’artiste cherchant à vivre, selon ses propres mots, en « sauvage ».
3 _ 5 - RETROUVER L’ÂGE D’OR. PAUL GAUGUIN ET LA POLYNÉSIE
- « Les voyages lointains, les croisières noires et jaunes ont brisé le cadre d’habitudes casanières et ouvert nos yeux à la magie des danses barbares autour des fétiches baroques, des rites de la sorcellerie, des mystères de la forêt, de la savane ou de la jungle »
- (Exposition coloniale internationale de Paris 1931. Rapport général, volume V)
Les rituels ancrés dans les cultures étrangères, se manifestant notamment à travers les masques, les danses et la musique, apparaissent au premier regard énigmatiques aux artistes occidentaux, tout comme ils l’ont été pour les explorateurs, les missionnaires ou les administrateurs coloniaux.
Avec l’arrivée des colons européens sur d’autres continents, nombre des pratiques des religions traditionnelles ont été réprouvées, en tant que manifestations de religion dites « primitives » que le christianisme a cherché à supplanter.
4 - DU MYSTÉRIEUX ET DE L’ÉTRANGE
5 - PAUL ET VIRGINIE, UNE IDYLLE EXOTIQUE
Aux côtés de la romance sentimentale de Paul et Virginie, l’imaginaire européen de l’exotisme se nourrit d’archétypes plus charnels. En littérature, en peinture, dans les cartes postales ou lors des spectacles des expositions coloniales, se croisent les stéréotypes d’une féminité lascive et sensuelle.
Les fantasmes de danseuses, belles indolentes et corps dénudés marquent l’imaginaire exotique et colonial : odalisques et ouled-naïds des peintres orientalistes, vahinés des artistes des mers du Sud, danseuses cambodgiennes qu’Auguste Rodin (1840-1917) contemple à Paris et à Marseille avec extase en 1906, et que René Piot (1866-1934) ne se lasse également d’admirer lors de l’Exposition coloniale de Marseille en 1922.