3 _ Appropriation des lointains
Célébrer l’impérialisme colonial
Contenu
À la fin du 19e siècle, la plupart des pays européens se constitue de vastes empires coloniaux. L’État passe commande aux artistes d’œuvres pour commémorer les héros de la conquête des territoires lointains, les batailles, les redditions, l’appropriation des terres et leur mise en valeur. L’art est utilisé à des fins de propagande pour célébrer l’impérialisme colonial, en particulier dans les expositions coloniales organisées dans différentes villes françaises et européennes entre la fin du 19e siècle et le milieu du 20e siècle.
La collection de peintures comporte un ensemble d’œuvres, souvent de grand format, présentées à l’Exposition coloniale internationale qui se tient à Paris en 1931. Les sections artistiques de ces événements tendent à montrer que les artistes ont eux aussi, avec leurs pinceaux, conquis d’une certaine manière les espaces lointains. L’imaginaire exotique ne disparaît donc pas, car il s’agit de mettre en valeur les colonies. Un système artistique, reposant sur l’attribution de bourses de voyage et l’organisation d’expositions, y contribue largement.
- « Je me rappelle notamment certaine caricature en deux tableaux, où je fournissais le principal personnage. On me voyait d’abord dans un costume que maintenant ne désavouerait pas Tartarin ; je me buttais [sic] à un écriteau : « Route barrée » ; derrière, la danse des Pahouins se déroulait autour d’une gigantesque marmite dont le blanc formait sans doute le contenu. Le second dessin me montrait dans un costume beaucoup plus primitif, et si maigre, que les Pahouins eux-mêmes, déconcertés, me faisaient la nique en me souhaitant bon voyage. »
- (Pierre Savorgnan de Brazza, Voyages dans l'Ouest Africain 1873-1887)
Le voyageur bohème, l’explorateur avec sa carte et l’administrateur avec son casque colonial forment une galerie de conquérants des lointains. Les souverains étrangers apparaissent eux aussi en majesté, réduits toutefois à un rôle rituel et symbolique face au pouvoir politique colonial.
1 - Mises en scène de soi, mises en scène de l’autre
L’expansion coloniale s’accélère dans la seconde moitié du 19e siècle. A la conférence de Berlin en 1885, les pays européens se partagent l’Afrique.
La peinture reflète les phases de conquête, de pacification et de transformation des territoires lointains. Les régions idylliques se métamorphosent en territoires d’affrontements, le paysage est façonné par de grands travaux et par l’exploitation des ressources des sols et des sous-sols. Les colonisés sont contraints de participer aux transformations du territoire orchestrées par l’autorité coloniale qui va jusqu’à recourir à la violence.
2 - Imposer une vision du monde. Images des territoires conquis et transformés
Dans certains tableaux apparaît l’opposition entre un homme blanc « civilisé » et celui que le colon nomme « indigène ». Nombreuses dans la culture populaire de l’entre deux-guerres, les images d’une réalité fondée sur la dépréciation et l’infériorisation des peuples colonisés par la puissance coloniale se profilent aussi dans les beaux-arts.
Regard complaisant d’un peintre sur un gouverneur colonial en visite dans un village africain, portrait sarcastique d’un médecin à l’assaut des maladies tropicales ou œuvre de commande faisant l’apologie du colonisateur exerçant sa mission civilisatrice, ces toiles interrogent le rapport à l’autre qui peut basculer dans le dénigrement.
3 - Dénigrer l’autre
Dans la première moitié du 20e siècle, les séjours d’artistes français dans les colonies sont fortement encouragés. Des sociétés artistiques comme la Société coloniale des artistes français, créée en 1908, décernent prix et bourses de voyage. Ces récompenses permettent aux artistes de découvrir un pays lointain. Les lauréats s’engagent en retour à enseigner dans les écoles de beaux-arts créés dans les colonies, comme celles de Tananarive et d’Hanoï.
Un vaste réseau international de circulation d’artistes, d’œuvres mais aussi de modèles culturels se met en place au cours de la période coloniale, abordé ici à travers le cas de Madagascar et de l’Indochine. Représentations d’une autre culture côtoient différentes manières pour les artistes non-occidentaux de se représenter à travers le prisme de l’influence européenne.
Entre domination d’un modèle et stimulation des échanges, la peinture des lointains se fait le reflet de ces phénomènes d’acculturation.